Au bonheur des lettres - Shaun Usher
Rien de bon ne
disparaît
John Steinbeck à Thom Steinbeck
10 novembre 1958
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Né en Californie
en 1902, John Steinbeck est rapidement considéré comme un géant de l’écriture
grâce à des classiques tels que Les Raisins de la colère, A l’est d’Eden ou Des
souris et des hommes. Et sa notoriété s’accroît encore lorsqu’à 60 ans il
reçoit le prix Nobel de littérature, un honneur dont si peu peuvent se targuer.
Comme la plupart des écrivains de son temps, Steinbeck aime correspondre et il
entretient des relations épistolaires avec toutes sortes de gens, depuis ses amis
auteurs jusqu’aux présidents des Etats-Unis, déployant un style naturel et
déliée. En 1958, quatre ans avant sa
consécration, Steinbeck écrit sa lettre la plus belle, et la plus riche
d’enseignements à son fils de 14 ans. Thomas qui est en pension vient de tomber
amoureux. Il sollicite les conseils d’un père.
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10
novembre 1958
Cher Thom,
Nous avons reçu
ta lettre ce matin. Je vais te répondre de mon point de vue et bien sûr, Elaine
répondra du sien.
Primo- si tu es
amoureux – c’est une bonne chose – c’est à peu près la meilleure chose qui
puisse t’arriver. Ne laisse personne te faire croire que c’est insignifiant ou
négligeable.
Secundo- il
existe plusieurs espèces d’amour. L’une est égoïste, étriquée, cupide,
narcissique, et se sert de l’amour pour se donner de l’importance. C’est
l’espèce la plus laide et paralysante. L’autre est un débordement de tout ce
qu’il y a de bon en toi – ta bienveillance, ta considération et ton respect,
pas uniquement le respect des bonnes manières mais un respect plus large qui
est la reconnaissance de l’autre comme une personne unique et précieuse. La
première sorte peut te rendre malade, te couper les ailes et t’affaiblir mais
la seconde peut libérer en toi une force, un courage, une bonté voire une
sagesse dont tu ne soupçonnais même pas l’existence.
Tu dis que ce
n’est pas u ne amourette. Si cela te tient tant à cœur – bien sûr que ce n’est
pas une amourette.
Mais je ne pense
pas que tu me demandes ce que tu ressens. Tu le sais mieux que personne. Ce que
tu souhaites savoir, c’est ce que tu peux faire – et cela je peux te le dire.
Tout d’abord
savoure cet amour, et sois très heureux et reconnaissant.
L’objet d’amour
est le meilleur et le plus beau. Essaie d’être à la hauteur.
Si tu aimes
quelqu’un – il n’y a aucun mal à le dire – seulement tu dois te rappeler que
certaines personnes sont très timides et qu’on doit parfois en tenir compte au
moment de leur dire.
Les filles ont le
chic pour savoir ou percevoir ce que nous ressentons, mais généralement elles
aiment aussi l’entendre.
Il arrive parfois
que ce que l’on éprouve ne soit pas payé de retour pour une raison ou un autre
– mais cela ne rend pas nos sentiments moins précieux ou moins bons.
Enfin, je sais ce
que tu ressens parce que je le ressens aussi et je suis heureux que ton tour
soit venu.
Nous serons ravis
de rencontrer Susan. Elle sera évidemment la bienvenue chez nous. Mais Elaine
se chargera de tous ces arrangements parce que c’est son domaine et ça lui fera
très plaisir. Elle en sait long sur l’amour elle aussi et peut-être te
sera-t-elle d’une plus grande aide que moi.
Et n’aie pas peur
d’échouer. Si ça doit arriver, ça arrive-, l’important, c’est de ne pas se
précipiter. Rien de bon ne disparaît.
